Plusieurs mois après leur interpellation pour détention de cannabis, 3 mineurs étaient convoqués début octobre par un commissariat de l’agglomération nantaise pour un rappel à la loi. Aucun courrier n’a été adressé aux familles, le seul motif évoqué par téléphone étant celui d’une « audition ».
Des trois mineurs interpellés, le seul qui s’est pour l’instant rendu au commissariat s’y est vu réclamer un échantillon d’ADN, à la surprise des parents des mineurs mis en cause. Ils redoutent le fichage de leurs fils, qui n’avaient que 16 ans au moment des faits et ils entament, déterminés, ce qui peut se transformer en un calvaire judiciaire.
Ils sont loin d’être les seuls dans ce cas : selon la Commission Nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le Fichier National automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) comprend aujourd’hui le profil de plus de deux millions d’individus. Dans ce fichier, les traces des non-condamnés, comme nos interpellés dans ce cas, sont conservées 25 ans, 40 ans pour les personnes condamnées.
La création de ce fichier par la loi Guigou de 1998, intervient dans un climat national et européen favorable : elle était encouragée depuis 1997 par une résolution du Conseil de l’UE Les prélèvements ADN étant déjà très utilisée au Royaume-Uni et 6 mois avant avait eu lieu l’arrestation du tueur en série Guy Georges, confondu grâce à son ADN.
Sous Jospin, la loi Vaillant en 2001 sur la « sécurité quotidienne » élargissait le fichier aux auteurs d’atteintes graves, ce fichier ne comportait alors que 4369 profils génétiques d’individus dont 70% était condamnés. C’est à partir de 2003 et la loi « sécurité intérieure » dite « loi Sarkozy » que le volume d’enregistrement a crû de manière exponentielle, le fichier étant élargi aux simples délits (vol, tag, arrachage d’OGM, usage et détention de cannabis…). Aujourd’hui, 137 infractions peuvent justifier un prélèvement ADN à l’exception notable de la délinquance routière et de la délinquance financière, curieusement oubliées.
On remarque que, dans le même temps, la proportion de condamnés baisse dans les profils identifiés. Le Figaro du 16 mai 2007 parle de 480 000 profils fichés dont la moitié sur simple présomption. Aujourd’hui, ce fichier est composé à 80% de personnes non-condamnées. Ce fichier menace le droit, reconnu fondamental par la Constitution française et la Convention européenne des Droits de l’homme, à la présomption d’innocence, qui constitue pourtant un principe cardinal dans un Etat de droit.
Le refus de prélèvement est possible, la loi prévoit un délit spécifique qui peut être sanctionné par une amende de 15 000 euros et une peine d’emprisonnement. La sanction peut être impressionnante mais il y a mieux encore. Refuser de donner son ADN est une infraction dite « continue » : quand un individu poursuivi, à nouveau convoqué, refuse le prélèvement, il peut se voir poursuivi pour chaque refus et est susceptible d’être condamné en récidive.
Au de ces éléments, on comprend que le nombre de refus soit si faible. Cela peut aussi s’expliquer par d’autres facteurs : le stress de la garde à vue, l’absence d’un avocat, l’éventuel oubli du policier de mentionner la possibilité de refus, la solennité de la procédure et la crainte de l’amende opportunément rappelée par le fonctionnaire s’il croit déceler chez le mis en cause un semblant d’hésitation. Et si elles brillent certainement par leur « efficacité », les manœuvres des policiers pour prendre à dépourvu les mineurs concernés et leurs parents dans le cas présent, éclaire sur le fossé qui peut exister entre le droit et sa pratique dans les commissariats.
En plus de ces atteintes, le fichage ADN présente un autre aspect bien inquiétant. Catherine Bourgain, chargée de recherche en génétique à l’Inserm et présidente de la Fondation Sciences Citoyennes, rappelle en janvier dernier sur France Culture qu’il n’y a pas d’ « ADN neutre ». En effet, la génétique permet d’obtenir des informations sur l’origine géographique ou l’appartenance ethnique des individus ainsi que sur leurs prédispositions pathologiques.
Ces informations rendent possible la « discrimination » sur des caractéristiques génétiques la Commission de génétique humaine, l’explique dans son rapport « Rien à cacher, rien à craindre ? » paru en 2009 qui conclut que la faible utilité médico-légale du fichier britannique, équivalent, ne justifie pas l’intrusion dans la vie personnelle et les risques associés, d’erreurs, de violation des données et de stigmatisation de certaines populations surreprésentées. Ainsi, selon cette commission parlementaire, dont 20 minutes rapporte les propos dans son édition internet du 24 novembre 2009, « près de trois-quarts des jeunes hommes noirs âgés de 18 à 35 ans figurent désormais dans ce fichier au nombre d’entrées en hausse de 40% en deux ans ».
Le FNAEG participe, avec les 57 autres fichiers de police répertoriés par le rapport Batho en 2009, à une politique sécuritaire de « contrôle des populations », dangereuse pour la démocratie et l’Etat de droit et dont l’affaire Snowden nous confirme l’écho à l’international.
Le Royaume-Uni a été condamné en 2008 par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour non-respect de la privée et familiale et on peut légitimement croire que le tour de la France arrivera bientôt. Mais a-t-on besoin d’attendre une condamnation européenne pour ouvrir en France le débat de la collecte et de la conservation des données personnelles ?