Ce mercredi 16 octobre, les Bretons de Siences Po accueillaient rue Saint Guillaume un ancien élève de l’école, et actuel magistrat au Tribunal de Grande Instance de Nantes, Yvon Ollivier, pour une conférence intitulée « La désunion française, de l’urgence de sortir du jacobinisme » dont nous vous proposons ici une synthèse. Organisée par l’association des Bretons de Sciences Po, cette conférence a approfondi les thèmes de l’identité française et de l’altérité sous l’angle de l’unité républicaine et de son processus organisationnel, la centralisation.
Cette unité, qui prétend fonder l’identité sur un socle de valeurs est une spécificité française. L’Allemagne, malgré bien des heurts, a évolué vers le patriotisme constitutionnel théorisé par Habermas ; l’Angleterre, historiquement multiculturelle, tend à l’être moins, mais conserve cette capacité d’adapter son identité à la mondialisation. La France, en revanche, a un problème avec l’altérité et les contours du socle de valeurs, fondateur de son identité, sont devenus flous.
Historiquement, la nation est une « particularité forte » transcendée par le Roi, et ce, au niveau européen. Cette transcendance était d’essence divine et la conversion religieuse d’un individu colonisé suffisait pour qu’il soit assimilé à la Nation française. Cette transcendance est contestée au XVIIIe siècle par une vision idéalisée de la France, une France qui serait « mère des patries », une nation forte, capable d’assimiler les autres nations. A cette époque, pour être assimilé, il fallait être comme le colonisateur blanc, avoir les mêmes mœurs, la même apparence, c’est le cas des esclaves de St Domingue, qui, pour obtenir leur émancipation, adoptaient les mêmes comportements que les colons.
C’est cette uniformisation, prônée au nom de l’égalité, qui marque le début du jacobinisme. L’abbé Sieyès parle de « forger la nation », ce qui sera également théorisé par Michelet et appliqué par les hussards noirs de la République qui diffusent le français. De cette vision mystique de l’identité, on retient ce modèle de construction par l’absorption de celle des autres. Yvon Ollivier constate l’échec de cette conception, en citant l’exemple du discours de Valls sur les Roms, ou le fait que les langues et cultures régionales n’aient pas disparues. L’Autre ne disparait pas, malgré les tentatives répétées pour l’assimiler.
Ce mode de gestion de la diversité humaine était voué à l’échec. Aujourd’hui, il nourrit le racisme en France car la différence heurte le système et la norme. La haine actuelle du communautarisme vient de cette conception de l’identité fondée, non pas avec l’Autre, mais contre l’Autre, contre sa différence. Monsieur Ollivier s’appuie dans ce passage sur les travaux de René Girard et son ouvrage « le Bouc émissaire » (1982) dans lequel il décrit le phénomène qu’il nomme le triangle mimétique et le jeu symbolique qui l’entoure. Si cette vision idéaliste est en échec, elle reste cependant ancrée dans les esprits.
L’unité de la France ne s’apparente elle pas elle-même à un communautarisme ? La France s’est construite sur la mort de ses peuples. Une mort physique d’abord en Vendée et en Bretagne pendant la période révolutionnaire, puis une mort symbolique : une déconsidération de la culture, secondarisée, ramenée au rang de sous-culture. Cette déconsidération est intériorisée par les individus et il se produit un inversement des rôles, symptôme du communautarisme : le coupable se sent victime de l’Autre, de sa différence, agressé dans son identité et la victime se sent coupable de ne pas correspondre à la représentation qui lui est renvoyé. Yvon Ollivier en profite pour parler du « sabot » breton, image d’illustration de son ouvrage « Désunion française », instrument d’humiliation pour l’enfant surpris à parler breton à l’école.
Yvon Ollivier conclut la première partie de son propos en déclarant que la tradition républicaine d’unicité du peuple français est une représentation totalitaire de l’identité. Il rappelle que dans une démocratie, c’est le droit qui doit s’adapter aux hommes. Subordonner la réalité humaine à la loi est déshumanisant. Il dénonce un processus de colonisation culturelle continue et toujours actuelle : malgré 1000 ans d’unité de la Bretagne, l’existence du gallo en Haute-Bretagne, le pouvoir jacobin essaye de légitimer la Région Pays de Loire en Loire-Atlantique par de fortes dépenses en communication.
M. Ollivier poursuit en évoquant une « spoliation de la périphérie par le centre », l’abandon des projets de régionalisation, remplacé par le projet des « métropoles » et le contexte économique entre chômage, écotaxe et crise de l’agro-alimentaire. Il craint que la France, en s’appropriant les droits de l’Homme, s’arroge la possibilité de les enfreindre et dénonce la patrimonialisation des cultures régionales. « Nous [les Bretons] ne sommes pas un patrimoine, nous sommes vivants, nous sommes un peuple […] L’altérité ouvre des droits culturels dans l’espace public. »
Les mots sont importants : M. Ollivier souhaite s’arrêter sur certains termes chargés de sens parfois employés pour critiquer ou dévaloriser. Une région « à forte identité » correspond en fait à un peuple en situation difficile, « l’intérêt général », que certains opposent à « l’intérêt local » est en fait l’intérêt particulier des plus puissants. Le centralisme va dans leur intérêt, pas dans celui de l’égalité. Pour garantir l’égalité, il faut des contre-pouvoirs.
L’ « égalité des chances » ne fonctionne pas : l’élite française est sélectionnée dans un très petit bassin de population, les écoles les plus prestigieuses sont à Paris et les classes moyennes bretonnes n’ont que rarement les moyens d’y financer les études de leurs enfants. Le qualificatif d’ « autonomiste » est en fait un retournement de connotation, l’autonomie est la situation normale pour les peuples et sans doute que si la Bretagne avait eu les moyens de concevoir de manière autonome le développement de son territoire, elle ne serait pas dans cet état aujourd’hui.
M. Ollivier met en évidence le rapport de force qui existe entre Paris et les régions et les inégalités qui découlent de ce rapport de domination. Ce qui est inquiétant, selon lui, c’est que cette domination identitaire et culturelle s’accompagne d’une domination en termes de développement de territoire, d’inégalités économiques et sociales.
Le dépassement de la construction colonialiste de la France doit se faire en repensant son rapport à l’Autre. Il faut passer d’une unité contre l’Autre à une unité avec l’Autre, tout en restant dans un cadre universel. L’humanité est composée d’une part d’universel et d’une part de diversité. Les Bretons sont plutôt volontaires quand il s’agit de s’inscrire dans un cadre juridique plus large, que ce soit la France ou l’Europe. Ainsi, une autonomie dans l’économie, dans l’éducation, notamment linguistique, tandis que les pouvoirs régaliens resteraient à Paris permettrait à la Bretagne d’être un moteur de développement.
Yvon Ollivier achève son intervention en ajoutant que cela permettrait également de revitaliser le sentiment national et de redonner du sens à la citoyenneté française qui fonctionne aujourd’hui comme un rapport de domination. Les peuples de Bretagne et des autres régions françaises ne se retrouve plus dans ce système, les immigrés n’y parviennent pas davantage. La montée des extrêmes est symptomatique. Il est urgent de reconstruire un système juridique. L’unité n’existera jamais alors que la diversité est de plus en plus forte. Un fédéralisme différencié, avec le français comme langue commune, les valeurs de respect et de reconnaissance de l’Autre comme socle commun est un projet viable de nouvelle organisation territoriale régionalisée avec une réelle égalité des chances.